FONTANA ROSA – Le jardin des romanciers

Le jardin Fontana Rosa se cache derrière un lourd portail surmonté d’un fronton quadrangulaire sur lequel apparaissent les portraits en céramique de Balzac, Dickens et Cervantes qui est plus grand que les autres car c’était l’écrivain préféré du propriétaire, monsieur Vicente Blasco Ibanez.

Cervantes est d’ailleurs le seul auteur qui aura un monument dédié à l’intérieur du jardin.
En-dessous, figure un long bandeau reposant sur six écussons de fruits et de roses sur  lequel est écrit en trois langues : le jardin des romanciers. En espagnol, car monsieur Blasco Ibanez était espagnol et, dans ce jardin, il a voulu reproduire un petit coin d’Espagne. En français, car nous sommes en France. En anglais, parce que monsieur Blasco Ibanez avait une carrière internationale et, surtout, car les écrivains du monde entier étaient les bienvenus dans ce jardin.
Le nom Dona Domi, qui apparaît sous le D de Des romanciers, fait référence au directeur artistique de l’entreprise Saïssi, une entreprise mentonnaise qui s’est chargée de presque tous, à une exception, des carreaux de céramique du jardin.
Les écussons ornés d’agrumes, les fontaines et les roses donnent leur nom au jardin.

Monsieur Blasco Ibanez est né à Valence en Espagne en 1867 dans une Espagne monarchique et régie par le Clergé alors qu’il était républicain et anticlérical. Une note discordante qu’il a eu tôt fait de clamer haut et fort ce qui lui a valu moult ennuis au cours de sa vie.
De la prison à l’exil, n’étant plus le bienvenu dans son pays, il a voulu reproduire à Fontana Rosa le jardin hispano-mauresque, ce petit coin d’Espagne si cher à son coeur.
C’est d’ailleurs au retour d’un de ses exils qu’il va créer l’organe de presse El Pueblo  (Le Peuple) dans lequel il va parler de ses opinions politiques et où il commencera à publier ses premiers écrits.
Au tournant du siècle, comparé à Emile Zola, il est déjà un écrivain reconnu. Tous ses livres sont des best-sellers. Il est traduit dans des dizaines de langues. Il peut ainsi se permettre de vivre par et pour la littérature.
Au cours d’une tournée promotionnelle en Argentine en 1909, on lui propose des terres. Comme il avait envie de créer des colonies dans lesquelles il puisse appliquer ses principes politiques, il accepte et fonde deux colonies : la Nouvelle Valence et la Colonie Cervantes qu’il a dû abandonner en 1913 en raison de la crise économique.
Il revient en Europe au moment où éclate la Première Guerre Mondiale.

Ayant mis son organe de presse au service de la cause alliée, c’est ainsi qu’en 1919, quand il se rend aux USA au cours d’une tournée promotionnelle, Hollywood le sollicite pour adapter au cinéma nombre de ses romans, Vicente Blasco Ibanez ayant une écriture extrêmement visuelle.

C’est au cours de la Première Guerre Mondiale qu’il arrive sur la Côte sur les conseils de ses médecins car il est de santé fragile.
Il va d’abord habiter à Monaco puis à Nice pour enfin acheter le domaine de Fontana Rosa en 1921.
Le propriétaire précédent étant un soldat allemand de la Première Guerre Mondiale, le domaine est réquisitionné et vendu aux enchères au titre de dommage de guerre. C’est à ce moment-là que monsieur Blasco Ibanez l’achète.
A l’origine, il y a la maison des gardiens, la maison d’habitation et la bibliothèque. Tout le reste, c’est lui qui le fera construire.

Il va vivre à Fontana Rosa jusqu’en 1928 année de sa mort.
Victor Hugo est en quelque sorte à l’origine de la cause de sa mort. En décembre 1927, il y eût un hommage à Victor Hugo en extérieur, au Trocadéro à Paris. L’hommage ayant duré, monsieur Blasco Ibanez prend froid et en janvier 1928, il s’éteint à Fonatana Rosa, ses derniers étant “mon jardin, mon jardin“.
Ses restes seront déplacés en Espagne en 1933 en grande pompe, car en 1931 la République est proclamée. Une cérémonie officielle entre la ville de Valence et la ville de Menton sera organisée.

Monsieur Blasco Ibanez était fasciné par la mer. Il aurait voulu être marin.
Les mathématiques n’étant pas son fort, il fait son droit.
L’acquisition du domaine de Fontana Rosa lui donne l’occasion de se faire construire un aquarium dans lequel, au premier étage dans des bassins cimentés, évoluait sa collection de poissons exotiques.
Au-dessus de l’aquarium se tenait un solarium où monsieur Blasco Ibanez pouvait admirer son domaine, qui s’étendait jusqu’au Boulevard Garavan.

Sur la partie haute du domaine, il y avait un verger, une collection d’oeillets, des agrumes ainsi qu’une vigne.
Il avait créé dans ce jardin un certain art de vivre dédié aux sens. Ajoutez à cela des rosiers particulièrement odorants, le doux bruissement de l’eau des fontaines, le gazouillement des oiseaux.
Monsieur Blasco Ibanez s’était véritablement créé un petit coin de paradis ici à Menton.

La rotonde, monument dédié à Cervantes, est le seul élément architectural vraiment consacré à un écrivain sur le domaine.
La pente a été utilisée pour mettre en valeur cette rotonde. Il s’agit d’un portique semi-circulaire avec des bancs décorés de carreaux de céramique illustrant les aventures de Don Quichotte. les carreaux de céramique des bancs de la rotonde viennent d’Espagne. Ce sont les seuls carreaux qui n’ont pas été réalisés par l’entreprise Saïssi de Menton. Mille carreaux représentent l’histoire du roman le plus célèbre de Cervantes : Don Quichotte.
Ces bancs de conversation, qui font vraiment la réputation de Fontana Rosa, servaient quand monsieur Blasco Ibanez s’accordait une pause entre deux séances d’écriture et quand il refaisait le monde en compagnie de ses invités.
La rotonde étant entourée de cyprès, le lieu se prêtait à la réflexion.
Tout un art de vivre s’était mis en place à Fontana Rosa.

Dans la cour, Vicente Blasco Ibanez avait disposé des stèles pour recevoir les bustes en bronze de douze géants de la littérature universelle. Oeuvres de Leopold Bernstamm, ancien sculpteur à la cour de Russie qui avait trouvé refuge à Menton pendant la Révolution Russe, les douze écrivains représentés étaient : Balzac, Boccace, Dickens, Dostoïevski, Goethe, Hugo, Poe, Stendhal, Tolstoï et Zola. Un beau panthéon d’auteurs qui étaient répartis dans tout le domaine.
Ainsi, quand monsieur Blasco Ibanez s’y promenait, il aimait tomber sur ces bustes qu’il appelait ses fantômes, ayant l’impression que c’était lui qui était invité chez ses écrivains préférés.
A l’heure actuelle, il ne reste plus que le buste de Miguel de Cervantes, ceux qui ont pu être récupérés ayant été mis en sécurité au Musée des Beaux-Arts à Carnoles.

En effet, quand monsieur Blasco Ibanez meurt en 1928, sa veuve repart au Chili. Quand il faut entretenir le domaine, les enfants qu’il avait eus d’un premier mariage ne viennent plus.
Puis, la Deuxième Guerre Mondiale éclate. Entre les allemands et les italiens, Menton est sévèrement bombardé. Le domaine est donc laissé à l’abandon jusqu’en 1970 lorsque les héritiers de monsieur Blasco Ibanez décident de vendre la partie supérieure à des promoteurs immobiliers et de donner le domaine à la ville de Menton.

Monsieur Blasco Ibanez étant arrivé en 1921 et étant décédé en 1928, les travaux ont été réalisés extrêmement rapidement.
Malheureusement, à cette époque, on n’a pas fait très attention aux fondations. C’est pour cette raison que le jardin se dégrade très vite car il n’a pas été construit pour durer. C’est comme si Fontana Rosa était un immense décor de cinéma.

A Menton, on parle beaucoup de jardins d’acclimatation car la majorité des plantes qui s’y trouvent ne sont pas des plantes endémiques mais des plantes qui ont été amenées.
Le ficus macrophylla, que l’on retrouve partout dans la région et qui vient d’Australie, en est un bel exemple. Cet arbre incroyable a la particularité d’avoir des racines traditionnelles mais également des racines qui partent des branches.

Le palmier, la plante la plus emblématique de la Côte d’Azur, n’est absolument pas endémique. Le tout premier palmier arrive à Nice en 1864 sur l’initiative du baron Vigier. Le palmier, symbole de la Côte d’Azur, vient des îles Canaries, d’Afrique et des Etats-Unis.
En effet, vers le dernier quart du XIXème siècle, époque de l’hivernage, les grands de ce monde venaient passer les mois d’hiver à Menton.
Que viennent-ils y chercher ?
De l’exotisme, de la verdure au coeur de l’hiver. Ainsi, le palmier reste encore la plante la plus emblématique de l’exotisme.

Si toutes les plantes exotiques arrivent fin du XIXème siècle au moment où tous les grands de ce monde viennent chercher le printemps fécond et l’exotisme, le caroubier, les agrumes, la vigne, les oliviers sont des arbres emblématiques de la Côte d’Azur.

Comme nous pouvons le constater, la gare de Menton est très proche du domaine de Fontana Rosa. Elle existait déjà du temps de monsieur Blasco Ibanez parce qu’elle a été inaugurée en 1882 pour, notamment, accueillir madame la Reine Victoria qui venait passer quelques jours à Menton au Chalet des Rosiers qui se trouve à côté du jardin botanique du Val Rahmeh.
Non seulement, monsieur Blasco Ibanez pouvait voir la mer mais il pouvait également accueillir ses invités.

Le banc n°6, entièrement restauré lors de la grande campagne de restauration en 2007, était, paraît-il, le banc préféré de monsieur Blasco Ibanez. De ce banc, il pouvait en effet admirer le Garavan Palace, construit en 1913, qui est un des derniers palaces à avoir été édifié à Menton pour accueillir les grands de ce monde. Autant Menton a été une des dernières villes d’hiver, autant elle est rapidement devenue la ville numéro un, jusqu’à 18000 personnes pouvant venir y passer les mois d’hiver.

Le domaine de Fontana Rosa offre plusieurs jardins en un. Autant chaque jardin est différent, autant les motifs qu’on y retrouve sont récurrents : hommage à l’Antiquité (sphinge, angelots, colonnes), écussons avec les fontaines, les roses et les agrumes.

Mais à chaque fois, il y a comme un écrin de verdure, un petit éden qu’il s’est recréé ici.

Le bassin aux crabes et aux grenouilles bleus

La couleur qui a été utilisée pour les animaux en céramique était vraiment la couleur de référence de l’entreprise Saïssi.
Les façades des anciennes maisons mentonnaises sont souvent ornées de balustres, vases, jardinières bleues turquoise, la couleur dominante dans ces réalisations.

En 1873, Joseph Saïssi fonde les faïences Saïssi dans la vallée du Borrigo, de l’autre côté de la gare à l’ouest parce qu’en haut du Borrigo, il y avait une carrière où toute la terre était récupérée. En plus, il y avait la rivière du Borrigo qui, à l’époque, n’avait pas été recouverte par la route. C’est dans la rivière du Borrigo que l’on trouvait la rainette méridionale, une grenouille bleue turquoise que les enfants pêchaient et revendaient.
La particularité de cette grenouille c’est qu’elle a seulement du pigment bleu, la nature ne lui ayant pas donné de pigment jaune pour qu’elle puisse mélanger les deux et avoir cette couleur verte.

Le bassin aux grenouilles se trouvait devant la maison de monsieur Blasco Ibanez dont il ne reste malheureusement plus qu’un pilier. On peut encore voir les marches qui menaient à la maison, détruite en 1982 parce que la mairie trouvait que c’était impossible de la rénover.
Fontana Rosa sera classé monument historique en 1990, malheureusement 8 ans trop tard.
La maison, qui datait de 1870, était existante quand monsieur Blasco Ibanez a acheté le domaine.

L’allée de Bacchus

Sur les bancs de l’allée de Bacchus, on peut admirer un motif qui met en scène le dieu Bacchus, dieu du vin, de la vigne mais également de la débauche.
C’est le seul motif qui existait déjà dans le catalogue Saïssi.

La salle de projection cinématographique

Vicente Blasco Ibanez se fait construire à Fontana Rosa une salle de projection cinématographique privée qui a été réhabilitée.
La charpente en bois a été restaurée et la toiture refaite.

Monsieur Blasco Ibanez s’intéresse très tôt au cinéma muet. C’est pourquoi nombre de ses oeuvres ont été adaptées au cinéma. Quelques exemples : 1922 Arènes sanglantes avec Rudolph Valentino – 1926 La Tentatrice avec Greta Garbo – 1941 Arènes sanglantes avec Rita Hayworth – 1962 Les quatre Cavaliers de l’Apocalypse film de Vicente Minelli.

La bibliothèque

Quand monsieur Blasco Ibanez achète le domaine de Fontana Rosa, le bâtiment où il installe sa bibliothèque et son bureau est existant. Jusqu’à quatre cent mille ouvrages étaient conservés à cet endroit parce que c’était la réunion des bibliothèques de Buenos Aires, de New York, d’Amsterdam et de Nice. Monsieur Blasco Ibanez se documentant énormément pour écrire, il possédait des livres d’histoire, de géographie et de religion. Il en achetait beaucoup et on lui en offrait beaucoup. Malheureusement, durant les années d’abandon du jardin, la bibliothèque fut pillée et nombre de livres détruits. Toutefois, la Bibliothèque de l’Odyssée à Menton a pu récupérer un certain nombre de livres de monsieur Blasco Ibanez qui avait créé en 1913 la société d’édition Prométéo. Cette société, qui a fêté ses cent ans en 2013, correspondait aux livres de poche d’aujourd’hui.
En mettant à disposition des espagnols de la littérature à un prix tout doux, il voulait rendre l’instruction accessible au plus grand  nombre. A partir du moment où les gens pouvaient s’instruire, ils pourraient décider de leur vie. C’est ainsi qu’il a créé cette société pour promouvoir la littérature espagnole dans un premier temps puis la littérature internationale.
Monsieur Vicente Blasco Ibanez a aussi créé une société de production car il s’est essayé à produire ses films. Il en produira seulement deux qui ont été des grands succès en Espagne mais qui n’ont pas traversé la frontière.

Intéressons-nous maintenant à la restauration du jardin tel que nous le voyons actuellement.
Nous le devons à monsieur Jean-Pierre Cafarelli.
C’est grâce à lui que le jardin a l’allure qu’il a aujourd’hui car les carreaux de céramique originaux dataient de 1920.
L’entreprise Saïssi ayant fermé en 1933 faute de repreneur, on s’est rendu compte, au moment de la rénovation du jardin, qu’il était extrêmement compliqué de reproduire les mêmes teintes que les carreaux des années 1920 et qu’il n’était absolument pas pensable de mettre côte à côte des carreaux qui n’avaient pas la même couleur. C’est là qu’intervient  monsieur Cafarelli qui, non seulement est un artisan de grand talent mais également un artiste qui, au bout de centaines d’essais, a réussi à reconstituer un nuancier, permettant ainsi de reproduire des milliers de carreaux.

Malheureusement, monsieur Cafarelli étant décédé en 2001, il n’a pas pu voir la belle restauration du jardin qui a été faite en 2007 grâce au nuancier qu’il avait élaboré.

Souvent seul, parfois accompagné, Jean-Pierre Cafarelli mérite tout notre respect pour avoir eu la volonté de faire souffler à nouveau sur le jardin l’esprit qui l’animait du temps de Vicente Blasco Ibanez.

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